P. Rime (Hrsg.): Pierre Léon Pettolaz

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Titel
Pierre Léon Pettolaz. Correspondance 1789-1799


Herausgeber
Rime, Pierre
Reihe
Archives de la Société d’histoire du canton de Fribourg, nouvelle série 19
Erschienen
Fribourg 2016: Société d’histoire du canton de Fribourg
Anzahl Seiten
468 S.
von
Georges Andrey

Lumineusement préfacée par Marius Michaud, historien reconnu des courants révolutionnaire et contre-révolutionnaire du canton de Fribourg, cette correspondance, reconstituée avec une patience de bénédictin par Pierre Rime, réunit soixante-deux lettres de et à Pierre Léon Pettolaz, dont quatre-vingts pour cent forment ce qu’on peut appeler un réseau épistolaire valdo-fribourgeois: y participent le doyen Bridel (32 missives) et le publiciste Lanteires (20), les comparses groupant l’érudit et sénateur zurichois Ott (9) et Madame de Pont-Wullyamoz, femme de lettres, vaudoise passée à la foi papiste et obsédée d’ascendance nobiliaire (1). Mais, avant d’en venir au fait, il est essentiel, pour l’intelligence du tout, d’en présenter le contexte général.

Au coeur dudit réseau, voici donc le Fribourgeois Pierre Léon Pettolaz. Il n’a rien du citadin, mais tout de l’intellectuel isolé dans sa thébaïde campagnarde au sein d’une population rurale dont le tiers est analphabète. Que fait-il donc dans cette galère?

Originaire, natif et résident du bourg montagnard de Charmey, haut lieu de la production du gruyère d’alpage , Pettolaz – Pierre Rime a écrit sa biographie en 2014 – compte parmi les notables de la commune, l’une des plus vastes du canton de Fribourg. Propriétaire foncier, il y exerce aussi, au privé, l’activité de notaire, et, dans la fonction publique, la charge en vue de curial, dont les compétences, d’ordre administratif et judiciaire, s’étendent à l’ensemble des communes formant le vaste «Pays et Val de Charmey». En 1791, le Charmeysan sera même gouverneur – aujourd’hui syndic – de son village. Il faut dire aussi que les Pettolaz y tiennent le haut du panier : plusieurs d’entre eux ont fait fortune dans le commerce du gruyère et fait souche à Lyon, plaque tournante française du «roi des fromages», selon l’expression peu banale – belle publicité! – de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et qui justifie – métaphore filée – l’étiquette nobiliaire de «barons» collée ironiquement aux grands négociants suisses du prestigieux produit. Il va de soi qu’un roi a besoin de barons pour lui faire la cour. Le piquant, c’est que ces barons sont fils de… Guillaume Tell !

Seulement voilà, Pierre Léon descend de la branche qui a fait faillite dans ce business aussi périlleux que juteux. Dès lors, il ne sera pas non plus de la caste des Pettolaz élevés par la grâce de Leurs Excellences de Fribourg au rang convoité de «patricien», particule «de» à l’appui. Il n’est pas resté cul-terreux pour autant. S’il n’a pas fréquenté le Collège Saint-Michel de la capitale, il a joui de la formation que lui a prodiguée un cousin jésuite très cultivé, naguère précepteur dans une bonne famille d’Autriche. C’est sans doute à son école que Pierre Léon a appris, non seulement à aimer sa religion, mais aussi à se cultiver lui-même et à goûter aux belles-lettres, ce dont témoignent sa curiosité intellectuelle, sa bibliothèque et la qualité de sa plume.

La correspondance du Charmeysan, dûment présentée, documentée, annotée et illustrée (il n’y manque qu’un index des noms et un glossaire), l’éditeur Rime la publie, écrit-il, «dans le jus de son langage d’époque» (p. 92). Elle commence en 1789, année de la Révolution française et… de son mariage! Est-il permis de penser que la dot de sa femme autorise Pettolaz à consacrer une part appréciable de son temps à ses loisirs ? La première lettre, du 29 juillet, n’inaugure pas, en fait, la correspondance publiée par Pierre Rime, qui a fouillé partout, mais n’en a retrouvé qu’une partie. Elle est de la plume de Jean Lanteires (1756-1797), publiciste français d’ascendance huguenote établi sur les bords du Léman et éditeur dès 1786 du Journal de Lausanne, joyeux fourre-tout hebdomadaire de quatre pages, mais rigoureusement apolitique comme l’exige la censure bernoise. Pettolaz y est abonné et y publie même une lettre de lecteur. Dans son billet de juillet, Lanteires, sans doute connu sur les bords de la Limmat, se fait simplement l’intermédiaire entre Pettolaz et «le Sénateur Ott», collectionneur d’art et de documents rares en quête d’un correspondant au Pays de Fribourg.

Globalement, la correspondance, comme le montre Pierre Rime, tourne autour de quatre thèmes majeurs: la religion, le patriotisme, la Révolution française, les critiques du régime patricien. Le premier – on devait s’y attendre – meuble à loisir les échanges qu’entretiennent le catholique romain Pettolaz et le pasteur protestant Bridel, alors ministre à Bâle puis à Château-d’OEx. Il convient de relever la tolérance et le respect réciproque sur le ton desquels dialoguent les deux interlocuteurs et qui n’ont rien à envier à l’interconfessionnalité d’aujourd’hui. Une raison à cela: leur patriotisme commun ou, pour mieux dire, l’amour partagé de «la commune patrie».

Ce second thème fonde l’helvétisme, mouvement régénérateur à l’origine de la Société helvétique, à laquelle appartiennent Bridel et Ott, mais que boude Pettolaz. Pourquoi donc? Parce que le gouvernement fribourgeois, méfiant, en interdit tout bonnement l’accès à ses «fidèles sujets». Incompréhension de Pettolaz: à ses yeux, les premières vertus du bon Helvète ne sont-elles pas la franchise et la droiture? Plus généralement, la notion de patrie est le lieu par excellence où, dans la bourgeoisie dite ordinaire – par opposition à la bourgeoisie privilégiée – et à laquelle appartiennent Bridel, Lanteires et Pettolaz, se noue la gerbe des «valeurs»: famille, bonheur, liberté, pureté antique des moeurs. Ainsi le voit l’Encyclopédie de Diderot et l’Alembert, comme le souligne avec pertinence Pierre Rime.

Troisième thème: «‘89». La décennie 1789-1798, temps qui sépare la Révolution française et la Révolution helvétique, est vécue en Suisse comme celle de la pré-révolution. Dans cette phase de transition et d’incertitude du lendemain, les esprits et les coeurs, naviguant entre deux eaux – celle, chaude, de la Révolution et celle, froide, de la Contre-révolution (le néologisme est d’époque) – se partagent en trois mouvances: celle de l’attente fébrile du changement, celle de la résistance au changement et, à mi-chemin, celle de l’adaptation au changement. La correspondance de Pettolaz les reflète-t-elle? En partie. Pettolaz et Bridel tombent d’accord sur un point : si la patrie devait changer, ce devrait être par ses propres moyens. L’invasion subite de 1798 et l’occupation font du grand voisin le maître du destin de feu le Corps helvétique. Néanmoins Pettolaz, happé par le souffle de la Révolution helvétique, s’engage sur le champ et sert loyalement le nouveau régime au point d’endosser le poste périlleux de président du Sénat helvétique. Quant à lui, Bridel ne pourra se résoudre à rallier «le nouvel ordre de choses» et en sera le dénonciateur intrépide. Mais la correspondance entre les deux épistoliers cesse en janvier 1799 déjà. Quel dommage!

Quatrième et dernier thème: la critique de Pettolaz envers le régime patricien. Elle éclate dès 1789-1790. Face aux événements parisiens, nos aristo-démocrates – intimement liés à la monarchie par le service de France – se braquent et instaurent un système inquisitorial de répression: censure générale des écrits, des images et de la parole, ouverture du courrier postal, mise en place d’un réseau serré d’espionnage, incitation à la délation, arrestations, interrogatoires, saisies. Pettolaz, lui, le modéré, le supporte mal, mais, moralement assis entre deux chaises, se tait, miné par un conflit de loyautés: envers le gouvernement auquel il doit son étude de notaire et sa charge de curial ; envers lui-même, acquis est-il aux droits de l’homme et du citoyen proclamés à Paris en 1789 et, partant, convaincu de la nécessité d’un partage démocratique du pouvoir. La chute de l’Ancien Régime patricien lui donne l’occasion de participer à la mise en place de la nouvelle Suisse. Hasard de la sémantique, le «patriote» de hier est devenu le «patriote» du jour.

Conforme au genre épistolaire fort prisé de l’époque, la correspondance de Pettolaz – on en ignore l’ampleur exacte – révèle des idées, des aspirations et un besoin d’ouverture au savoir dont l’inspiration profonde puise dans les Lumières du dix-huitième siècle, et plus précisément dans les «Lumières catholiques» – katholische Aufkärung – à comprendre comme tentative de conciliation, au sein de la République européenne des Lettres, du vaste courant universel d’émancipation de l’esprit – «ose penser par toi-même», selon l’invi ta tion de Kant – avec la tradition de l’Église romaine du primat du dogme. Ce savant et délicat cocktail semble assez bien réussi dans la formule pettolienne.

Zitierweise:
Georges Andrey: Pierre RIME (éd.): Pierre Léon Pettolaz : Correspondance 1789-1799, Fribourg: Société d’histoire du canton de Fribourg, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 252-254.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 252-254.

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